Chronique publié par gab le 27/11/06 sur le cargo.org :

travellings

à l’écoute d’Alasèv on se prend à rêver ... rêver d’espaces vierges, de forêts rêches, de sables mouvants ... de longs travellings, de voix qui montent du sol, de chevaux rendus fous qui piétinent tout, qui tournent, roulent et piétinent tout ... et des siècles bien sûr, les siècles ... on se prend surtout à rêver de ce que Tony Gatlif ferait d’un tel matériau s’il tombait dessus au hasard d’une recherche (é)toilée, quelles images, quelle histoire sortiraient de cette voix d’un autre âge, de la fronde, de la tension, du vent ... on en frissonne ... oui, on en frissonne ... « halluciné » ...

On rêve, on imagine, une seule chose est certaine cependant, la scène de poursuite nue dans les bois aurait lieu sur "La colline" (entame de deuxième partie de film, ça se tient). Un jeune homme, une jeune femme, ça commence doucement, le jeu de séduction s’installe sur un fond de banjo lancinant et puis la folie, la perte de contrôle, les corps qui accélèrent, tombent, râlent ...

Et c’est n’importe quoi cette chronique, les hallucinations s’enchaînent, on s’emballe, on attaque la bande annonce par le milieu, troublé qu’on est. Sachez juste qu’on n’arrive pas à cet état là par hasard, sachez qu’auparavant on a goûté et regoûté aux musiques racées d’Alasèv, à ce caractère andalou, à la fierté catalane ...

... pas mal pour un groupe Lillois ...

ruades

Bien, reprenons, concentrons-nous et recommençons dans un ordre moins dispersé : le disque que nous écoutons en boucle depuis quelques jours se nomme Les envoûtées et est un mini-album de six titres du groupe Alasèv. Une musique et un chant sauvages, perturbants, de caractère, vous l’aurez compris, à l’image du premier morceau "L’envoûtée" qui allie des guitares Noir désiriennes, un chant dépaysant, profond, ayant vécu, mélangeant français et langage aux sonorités de l’Est qui colle particulièrement bien à la musique ... musique que l’on sent difficilement domptable, avec des pauses, des ruades, des rythmiques hypnotiques qui se poursuivent sans relâche sur le magistral deuxième morceau, "à six pas du désert". Une base puissante, des percussions, la guitare dévorante, l’harmonica, le train et ce chant, toujours ce chant qui vous pénètre, se répand et vous tord, vous essore.

Ils ont ensuite l’excellente idée de calmer le jeu, de sortir le banjo, de rompre la tension, d’inviter Amélie (dont vous réentendrez sûrement parler un de ces jours sur le cargo) pour un duo à la beauté déchirante, "Yeah Lord". Le chant si particulier de la demoiselle se mariant à merveille avec la voix de Mika. Que dire de plus si ce n’est que ce refrain tue. Et puis nous revoici à "La colline", le vent se lève à nouveau, un souffle chaud, la transe et les tremblements, on se vide, se lave, se vide ... les images continuent et eux ne faiblissent pas, loin de là, "Come rain or shine", qui comme son titre l’indique attaque en anglais. Et ça passe tout aussi bien, une slide, un rythme enlevé, des gratouillis hispanisants et un orage qui éclate sur la fin. C’est peut-être le morceau le plus linéaire, le plus constant, le moins complexe mais il n’en demeure pas moins efficace. Et voila déjà la fin, "Cabaret" et son bandonéon, idéal pour clore le spectacle, fermer le rideau, nous inciter à relancer l’album à nouveau ...

mouette

Maintenant un désaccord persiste (chez nous au cargo en tout cas), tout le monde n’ayant visiblement pas été aussi emballé que moi par la voix et le chant de Mika. Soatte. On ne va pas polémiquer sur des histoires de goûts, faites-vous votre propre opinion (ici-même) et laissez donc un petit mot pour fermer gentiment le clapet à nos rabat-joie mouetistes (de moue bien sûr, la mouette maintenant son vol stationnaire, imperturbable). Je mets par contre au défi ces mêmes sinistres individus de trouver quelque chose à redire côté musique. Ce n’est en effet pas tous les jours qu’on rencontre une telle maîtrise du rythme et de l’intensité des morceaux. On a l’impression qu’ils ont ça dans le sang, qu’ils sentent intuitivement quand relancer, quand calmer, quand glisser, quand tuer le morceau. C’est une constante sur l’ensemble de l’album et participe pour beaucoup à l’arrimage auditif et jouissif qu’on a vécu dès les premières écoutes : il faut entendre l’arrivée de la guitare sur "La colline", savourer les accalmies musicales de "L’envoûtée" qui rendent le chant si poignant et les reprises contrepointées si intenses, attendre en embuscade la pause banjo de "Yeah Lord", tomber de haut sur la fin de "Come rain or shine", vibrer sur les saillies électriques d’"à six pas du désert" et se libérer sur ses rails, une guitare-locomotive ouvrant la voie, la caméra depuis longtemps abandonnée ...

Et parlant de caméra, Tony si tu nous lis, un road-movie ferroviaire ce serait franchement le pied ...